1-
Blanche était la fleur, nimbée de lumière au soleil couchant. Blanches et fragiles pétales séchées par le temps, cassantes sous les doigts, blanches pétales tenant là, miraculeusement, dans la cascade de tes cheveux blonds.
Tu l’avais trouvé par terre, subtil point lumineux sur une terre humide et sombre, pétales déployées dans leur blanche intégrité, admirant ce jupon ébouriffé, figé dans sa danse aérienne. Tes yeux enfantins reflétaient l’émerveillement du monde face au miracle du jour nouveau, joie pure et rayonnante du plus beau des trésors. Tu avais fais délicatement roulé la tige entre pouce et index, te perdant encore dans la contemplation de cette précieuse architecture végétale, défilement des courbes, creux et rebonds, courses des veines et veinules sur le tissu presque transparent. Tu savourais chaque infime variation de la merveilleuse sculpture, dégradé savant du blanc pur au beige onctueux, plis dévoilant la douceur des pistil et étamines. Tu avais ri, éclat cristallin papillonnant jusqu’à moi, « regarde maman ce qu’il y avait ici », fleur protégée entre tes paumes réunies en berceau, me présentant ton trésor avec fierté et précaution. « C’est magnifique » avais-tu ajouté, tes mots prononcés dans un souffle, comme si la simple force de tes paroles pouvaient effriter la matière. Puis tu t’étais enfui, galopant au loin, plaçant d’une main gracile la fleur blanche derrière ton oreille.
A l’horizon, le soleil crépitait ses derniers feux en un jaillissement d’ocre et de safran.
2-
Quelques bouts de toi, laissés épars dans cette chambre qui prépare ton départ.
Tissu vert de ta robe préférée, celle en coton clair veiné de foncé, celle que tu mettais à chaque début de printemps pour courir dans les prés fleuris à côté de notre maison, celle qui découvrait tes genoux toujours un peu écorchés, celle que tu as délaissée à l’aube de ton adolescence pour des vêtements disais-tu « plus de ton âge », celle que je n’ai jamais pu jeter tant ton enfance semble s’y être cristallisée.
Me reviens en mémoire les jeux que nous partagions dans la piscine gonflable du jardin, joyeux éclats d’eau et de soleil mêlés, de ton maillot deux pièces jaune canard à petites fleurs. Je me souviens du cerisier à côté de chez nous sur lequel tu te perchais sans arrêt, tes jambes fines dansant dans l’air, le nez pointant vers les nuages. Je me souviens du jour où la maladresse a fait naître cette petite cicatrice au coin de ta lèvre, du sang qui s’écoulait et du coton que j’y pressais, de ton visage débordant de larmes niché dans le creux de mes bras aimants. Je me souviens de tes grands yeux curieux s’éveillant au monde et à ses contradictions. Tes fou rires communicatifs et tes colères soudaines, frustrations de ne pouvoir faire toute seule, ton refus des interdictions et ton enthousiasme débordant. Je me souviens de ta détresse lorsque tu m’arrivais pas à comprendre, lorsque tu répétais sans cesse, lorsque tu insistais, de tes « pourquoi » s’enchainant en chapelet et auxquels je tentais tant bien que mal de répondre. Je me souviens de l’intensité brutale de tes émotions, violentes, te happant en un déferlement de joie ou de tristesse, de mes mots cherchant à t’apaiser. Je me souviens de ces magnifiques journées, brillantes et bouillonnantes passées à tes côtés, à te regarder grandir et découvrir.
Et la saveur des fraises entre nos doigts gourmands…
3-
Cela fait des années que l’on ne s’est vu. « Peu importe la distance » dit-on sans trop y croire, en espérant étouffer l’inquiétude naissante de se savoir séparés pour longtemps. Adage pourtant véridique pour nous. Nos lettres nous rapprochent, deux par semaine. J’écris, tu me réponds. Ou l’inverse. Impossible de me souvenir qui a commencé. Peut-être quelques semaines après ton départ à l’autre bout de la planète dans un pays dont je ne connaissais même pas le nom, moi pour prendre simplement de tes nouvelles ou toi pour m’en donner. Il me faudrait ouvrir cette valise en cuir vieilli où sont rangés tous tes courriers, classés, triés, méticuleusement repliés dans leur enveloppe d’origine, avec si possible un timbre chaque fois différent pour en accentuer l’exotisme, puis rechercher le premier, tout premier de la première pile dans le premier carton, décacheter de nouveau les mains tremblantes et déplier en un bruissement délicieux les feuilles jaunies, sagement numérotées, recouvertes de ta fine et ample écriture. Il me faudrait relire chacun de ces premiers mots, échangés, par-delà les terres et océans. Mais peu importe le point de départ de ce qui est devenu un rituel immuable. Seule compte chaque nouvelle lettre et les trésors qui y sont inscrits.
Aujourd’hui, pensant à toi, à chaque expérience que tout nouveau jour nous apporte, je tisse pour toi un tapis de fleurs, comme tu les aimes tant. Teintes profondes, bleu nuit, rose pourpre, ocre et or flamboyant. Un tapis de fleurs méticuleusement choisies, cousues patiemment, en longue échappe chaleureuse pour y réchauffer ton cou, ta peau, pour y plonger ton nez, y retrouver nichée, entre pétales et vert clair veiné de sombre, l’odeur accueillante de la maison…
texte Louise imagine
collage maryse hache
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bien de la joie à recevoir, ce mois-ci au semenoir, ce texte de louise imagine : toi , et qu'elle accueille mon txt : couleur, chez elle : ici
qu'elle en soit remerciée
vous pouvez aussi la encontrer là
ou encor là, plutôt pour les photos
je crois que ma première rencontre avec elle a eu lieu par isabelle pariente-butterlin, d'abord, puis avec l'instant t, chez publie.net
et nous échangeons souvent autour d'un travail d'écriture qu'elle m' a confié pour deux séries photos de tania kazakishvili
cet échange-là, du jour, trouve lieu dans le cadre des vases communicants, ensemble polyphonique de création et d'échanges littéraires, lancé par françois bon et jérôme denis. Depuis juillet 2009, le premier vendredi du mois, chacun écrit chez l'autre, blog ou site.
comme chaque mois merci à brigite célerier qui tient blog paumée et qui y fait, en cette occasion mensuelle vasesco, une fluide cueillette de chacun des partcipants
elle répertorie aussi, chaque mois, tous les participants ici
vous pouvez lire aussi lire tous les textes, réunis par pierre ménard / liminaire
Le souvenir s'épelle ici à la lettre. L'écriture abolit donc les distances (et le hasard).
Rédigé par : Dominique Hasselmann | mardi 14 août 2012 à 10:35
Très beau texte. Qui me parle au coeur. Tout particulièrement. Car en l'enfant présent, on devine déjà l'enfant parti.
Rédigé par : Poivert | lundi 06 août 2012 à 18:57