maison des grands-parents côté père ; ils avaient su habiter dans ces maisons deux fois pour toutes, une première fois chacun au fond de leur enfance - un au pas-de-calais à boulogne-sur-mer, une à maisons-alfort - une deuxième fois réunis au fond du mariage, en vallée de chevreuse seine-et-oise dans la rue qui passe sous un grand viaduc ; pour ça que l'aubépine des fiançailles, plantée à maisons-alfort, devait la suivre, déplantée et replantée au jardin de la vallée de chevreuse et y entrer en permanence
maisons des oncles et tantes : celle dans la belle avenue de lamballe du paris seizième, maison très grande à piano et salle de bains; celle au fond d'une cour du paris quinzième, appartement à immense couloir courbe au bout duquel était - ils disaient l'office - ; ils disaient aussi gens de maison ; dans une immense pièce il y avait deux immenses fauteuils en cuir blond tabac ; on est petit, tout est immense
maison des grands-parents, côté mère ; ils avaient quitté chacun leur enfance, une de l'avenue emile-zola, l'autre de je ne sais pas où ; s'étaient installés au fond du mariage quelques rues du paris quinzième plus loin, avenue felix-faure ; ils avaient posé un buffet, une petite vitrine, une table, six chaises, une bibliothèque en acajou avec porte vitrée, leur lit et une armoire ; il y avait un grand fauteuil louis XIII
sais-je habiter la maison mienne au présent de la vallée de chevreuse quatre fois pour toutes ?
j'avance dans le souvenir de ce fauteuil louis XIII, toujours là en sa permanence depuis plus de cent ans dans les maisons de la famille ; avant en quel lieu ? ; a-t-il été détrempé, en sa résidence avenue émile-zola, lors de la crue de la seine en 1810 ?
image cueillie ici.
il a déménagé peu aprés, avec la grand-mére, au fond de son mariage avec fernand, jusqu'à l'avenue felix-faure ; installé devant la bibliothèque acajou à porte vitrée parallèle à la fenêtre (autant qu'un fauteuil peut être parallèle à une fenêtre) en face du piano sur lequel était posé un petit aquarium, il y nageait quelques poissons rouge ; faisait face au fauteuil louis XIII le fauteuil de mon grand-père, un fauteuil roulant avec manivelles, il était cul de jatte
dans son fauteuil roulant mon grand-père lisait Combat ; le rituel de la lecture était lié à celui des petites miettes plates et brunes déposées à la surface de l'aquarium pour nourrir les petits nageurs rouge ; puis venait le rituel de la couverture qu'il disposait autour de sa taille car il allait bientôt prendre sa place de vigie à la fenêtre, elle le protégeait d'un petit vent qui passait en bas de la dite fenêtre qu' il nommait coulis d'air
le fauteuil louis XIII était occupé quand mon grand-père recevait visite ; il y avait le jour de la tante madeleine à l'haleine nauséabonde, raie au milieu et frange au ras des yeux - ce qui lui donnait l'air un peu buté - petit ruban noir autour du cou pour tenir les rides véloces ; venait-elle de bezons où elle a tombeau ? ; il y avait le jour du cousin lucien, grand homme autrefois blond ou roux, en âge de grand-père lui aussi, on le disait, avec du solennel respect dans la voix, ingénieur aux ponts et chaussées ; un jour d'été, où notre famille prenait vacances, on apprit sa mort au soleil de la plage ; il y avait le jour de la tante georgette, elle venait de la rue d'en face, houdart-de-la-motte - on pouvait lire sur la façade de son immeuble gaz à tous les étages - elle aussi, raie au milieu, avec frange, air un peu buté, elle était originaire d'alsace ; il y avait le jour de jacqueline souris - ce nom étonnait, où était souris verte souris bleue je l'attrappe par la queue, où était le sourire ? - ; et il y avait tous les jours - l'une habitait le même appartement que le fauteuil, l'autre, le cousin, habitait l'appartement au-dessus - deux petits mioches juchés sur le fauteuil, à goûter au vert paradis, à jouer à des jeux au fond de leur enfance, à s'inventer des paroles que personne ne retrouve au fond de son âge adulte
le fauteuil habitait la pièce dite salle-à-manger ; il voisinait table, poêle vert bronze avec une petite porte que l'on ouvrait quelquefois pour y glisser un plat que l'on voulait garder chaud, petite vitrine où s'exposait quoi d'autre qu'une petite figurine danseuse espagnole à jupe volants et pois, six chaises et du côté opposé au fauteuil, sur un petite table, un grand poste de radio rectangulaire avec petite ligne verte lumineuse ; l'oreille de mesmoires entend encore le gazouillis lorsque le grand-père fernand tournait un bouton qui modifiait la position du trait vert ; il disait je cherche une autre station
jamais je n'ai vu la grand-mère dans le grand fauteuil Louis XIII
aprés le décès du grand-père le fauteuil s'est installé rue brézin quatorzième arrondissement de paris, et c'est mon père qui s'y asseyait ; il y lisait france-soir et le dimanche le Hérisson ; il y regardait la télévision (le buffet avait déménagé chez un petit-fils en province avec la petite vitrine ; le poste de radio, sans doute disparu dans un cimetière aux objets obsolètes) ; peu de jours avant sa mort il s'y asseyait encore
aprés la mort de mon père, c'est dans le fauteuil Louis XIII que ma mère pleurait et lisait les journaux
je ne lis plus guère les journaux papier et ma grand-mère s'appelait blanche
je ne me souviens pas avoir jamais vu ma grand-mère lire un journal
le fauteuil Louis XIII habite maintenant une maison de l'ancienne seine-et-oise, dans la rue qui passe sous un viaduc. ; on y voit certains jours à côté d'une fenêtre une femme assise lisant écrivant sur un rectangle plat et lumineux
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