Moi je me dis qu'il a de la chance d'avoir quelqu'un qui l'aime comme ça, de cette façon. Que ce n'est pas donné à tout le monde cet amour, sans conditions, sans rien. Je me dis aussi que s'il savait ça, cet amour que j'ai pour lui et comment il est, il aurait peur, très. Il me dirait de ne plus parler, il me dirait de me taire, il me dirait toutes ces choses que je sais bien avant lui, il me dirait ne prends pas le train. Sept heures vingt-huit. C'est son heure. Le même depuis des mois. Dans un sens et dans son autre. L'autre qui est moi. Le premier qui est lui. Des milliers de kilomètres comme pure folie, il me dirait, tout ce que je sais d'avant la nuit. Dans un sens et dans son antre. L'antre qui est moi. Lui qui est lui. Je suis l'antre de lui. Il me dirait ce que je ne veux l'entendre prononcer, il me dirait d'oublier. D'oublier cette couche épaisse de brume qui enveloppe encore le paysage et nos visages endoloris, d'oublier cinq heures et demi parce que cinq heures et demi c'est encore la nuit, le froid, son silence. D'oublier la nuit. D'oublier de s'oublier. Ensemble. Il me dirait encore d'être à l'endroit où raisonnablement je devrais être, je suis à l'endroit où mon être me dit d'être. Je ne suis pas raisonnable. Je suis à ce train de sept heures et demi.
Mes compagnons de voyage sont encore plongés dans un demi-sommeil et moi je zieute d'un œil à peine plus éveillé le silence de l'aube. Quiétude. Je ne lui ai rien dit. Rien dit de la fille que je suis. J'écoute cet album de nouveau. The Western Lands. Je pense à ce monde qui est un tout petit caillou, je pense à Mathieu qui a fait la pochette de l'album. Je m'emmitoufle dans cette brume qui s'est infiltrée par les portes closes du wagon. Jusqu'à mon compartiment. Jusqu'à ma place. Et qui me retient encore un peu dans la nuit. Je suis à la place où je dois être. Je suis au train de sept heures et demi. Au loin, j'aperçois les traces d'un hiver qui semble vouloir demeurer à jamais. Du blanc sur les cols, blanc comme notre histoire, entachée de rien mais prête à fondre à la première percée du printemps, et je me dis que les humains se réjouissent d'en avoir fini avec l'hiver. Je ne lui ai rien dit. C'est Avril et il n'y a plus que le sommet des monts et collines pour se débattre encore de cette verve folle de l'hiver. Je ne lui ai rien dit. Je suis l'hiver.
Texte
par Candice Nguyen (theoneshotmi) qui
invite mon texte dans
ces maisons on s'occupait des poisons chez elle, dans le
cadre du projet de vases communicants: le
premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à
chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation
horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire
chez l’autre.
et
quel bonheur cette promenade, ce partage, cette plongée de blog à blog
Autres vases communicants d'Octobre (quelle cuvée !) :
j'emprunte la liste à candice nguyen@theoneshotmi
Christophe : Sourires... :)
Rédigé par : Theoneshotmi | mardi 19 oct 2010 à 20:01
j'arrive à la bourre, loupé le 1er train et les suivants. Ici, pas de train-train, mais se poser la question essentielle, finale : être ou suivre l'hiver ?
Rédigé par : ChGrossi | samedi 02 oct 2010 à 23:35
Dedans dehors, solitude et reflets et place, j'aime
Rédigé par : cjeanney | vendredi 01 oct 2010 à 13:57
j'aime bien l'intériorité de ce voyage.
Rédigé par : Muriele Lm | vendredi 01 oct 2010 à 08:22