je lisais quelque(s) chose(s) chez mathilde roux
j'aimais ses textes ses couleurs ses collages ses articulations
les photos choisies
l'énigme de ses chiffres
elle est devenue une de celles qui compte pour moi, lecture, lirécrirelire, dans les promenades dans les allées du web monde et leur tendre et vigoureuse stimulation
grande joie qu'elle ait accepté mon invitation à l'échange et je la remercie vif
elle a dit :"je sens que je m'oriente vers un texte sur les oiseaux, les plumes, peut-être avec images"
j'ai dit: "j'avais déjà fait quelques pas et un rouge-gorge était apparu / alors continue avec oiseaux et quelques plumes
ma proposition chez elle / matières de rêves, rémiges, est ici
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L’oiseau qui dort ne dort que d’un œil, œil qu’il a d’ailleurs vif et plutôt grand, toutes proportions regardées. L’oiseau voit le monde en couleurs, on le dit, c’est une valeur de distinction.
Et quand descendent les brumes et les voiles, quand s’épaississent les fumées, les brouillards, les vapeurs obtuses du trop chaud ou trop froid, quand s’insinue le trouble la couleur est un phare.
L’oiseau qui dort ne dort que d’un œil, il y a de quoi, la nuit autour, la nuit tout autour, révolue, enveloppante, bruyamment dilatée, la nuit quasi-stérile avec tous ses dangers, la nuit opaque, immense et ses desseins floutés, il y a de quoi, la nuit pas plus loin que son bec, la nuit tout autour du cou et pas de toit, pas de volet.
L’oiseau qui dort se méfie.
L’oiseau qui dort se repose aussi, par moments, c’est épuisant la méfiance. Il est cuit.
L’oiseau qui dort a fait un long voyage pour arriver ici. Il est cuit.
L’oiseau ne dort jamais en dehors de chez lui.
Tu racontais tes virées, tes pas de danse, tes allers, tes venues, tes va-et-vient tournés, et je pensais que la fatigue n’est pas liée à la distance mais au temps que l’on met à la parcourir.
L’oiseau qui dort ne chante pas comme d’autres espèces parleraient en dormant. On ne sait pas s’il rêve de voûtes éternelles, de forêts jaillissantes, de verts frais et de violets profonds, de jardins panoramiques aux buissons ébouriffés, d’océan de nuages, d’alcôves de brindilles et d’ouate, de lueur des sous-bois. On ne sait pas s’il rêve de gonflement d’organes, de cage thoracique, de barbes bien lissées, de parures, de parades, de préludes sans détours et bien argumentés. On ne sait pas s’il rêve de nuées croustillantes ou de larves juteuses, de récoltes écarlates, de tremplins géants ou de champ magnétique terrestre. On ne sait pas s’il rêve d’insouciance légère et de points culminants.
On ne sait pas s’il rêve, à priori il a beaucoup d’autres choses à faire.
L’oiseau qui dort attend le jour. On le dit. Personne ne dit que le jour attend l’oiseau, et pourtant c’est vrai aussi, c’est aussi vrai.
L’oiseau qui dort annonce infailliblement et sans l’ombre d’un extrême la venue prochaine d’un prochain jour. C’est la voie de la nature, le recommencement quoiqu’il arrive qui arrivera, c’est la loi de l’amplitude, toutes proportions intégrées.
L’aube est muette en ton absence. J’attrape au vol quelques souvenirs, comme ça, sans le faire exprès.
L’oiseau qui dort a du ciel à la pelle dans les pattes et des milliers de lignes au bout des plumes, horizontales, verticales, obliques, circulaires, en guirlande, en spirale ascendante ou descendante, de formes tourbillonnantes et indéterminées, des lignes à tracer et à laisser courir sur le papier.
J’écris : « Mes désirs, mes peurs, mes révoltes tournent autour de ma pensée. » J’écris : « L’envol est annoncé, l’envol est attendu, l’envol est suspendu à tous les souffles changeants de l’atmosphère. »
L’oiseau qui dort a des frissons d’ailes et le monde visible grand ouvert à sa porte.
L’oiseau qui dort s’est niché en un lieu stratégique, à la jonction des possibles, au creux du pas trop creux, tout près de la sortie, à la surface du beau.
mathilde roux
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ce texte de mathilde roux au semenoir et le mien chez elle, ont été écrits dans le cadre des vases communicants, ensemble polyphonique de création et d'échanges littéraires, lancée par françois bon et jérôme denis. Depuis juillet 2009, le premier vendredi du mois, chacun écrit chez l'autre, blog ou site.
comme chaque mois merci à brigitte célerier qui tient blog ouvert pour répertorier tous les participants, les consulter ici brigetoun
vous pouvez lire tous les textes, réunis par pierre ménard
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