le 1er vendredi de chaque mois, aventure possible : alors qu'habituellement chacun écrit chez lui, sur son blog ou son site, ce vendredi-là, ceux qui le souhaitent écrivent chez l'autre.
François Bon et Scriptopolis ont lancé l’idée des Vases Communicants
l'écriture en est souvent modifiée puisque soudain, nous savons que nous allons quitter notre lieu et savons aussi quel lieu nous allons habiter le temps de ce texte-là de ce vendredi-là
nous n'écrivons plus dans le monde web anonyme, même si nous savons un peu qui nous lit, mais dans le monde d'un qui a corps, voix, écriture singulière, et avec qui nous échangeons nos territoires
la modification se fait à la fois en notre conscience et à notre insu
ça circule, ça remue
ça se poudre aussi du remuement d'avoir été invité, ou d'avoir invité
et les ondes provoquées par l'échange auquel on a partcipé et celles de tous les autres vases continuent leur cercle bien après ce vendredi-là
les liens se propagent
ce vendredi 4 février piero cohen-hadria m'a invitée aux vases
grande gratitude vers lui
j'accueille donc son texte au semenoir, ci-dessous, tandis qu'il accueille le mien chez lui www.pendant le week-end, blog qu'il anime avec hélène clemente
avec elle il a créé mélico, site dédié à la mémoire de la libairie contemporaine
vous trouverez la liste des participants de ces vases de février, sur facebook, concoctée par une inlassable passeuse brigitte célerier son blog : paumée , et si vous n'avez pas de compte face book, reprise dans le nouveau blog proposé par laurent margantin : Les Vases Communicants
C’était un jour d’ennui, probablement. Je lisais ce livre et tombais sur ce numéro de téléphone « Passy 15 28 » je ne sais pas ce qui m’a pris, je l’ai composé. Deux sonneries, puis : « allo ? ». Rien de plus normal. J’ai dit « oui », on a dit « c’est toi ? », j’ai dit « oui », on m’a dit « on se retrouve au Soleil d’Or, vers six heures, comme d’habitude ? », j’ai dit « d’accord ».
On ne sait pas ce qui peut arriver, c’est le téléphone qui est comme ça. Seulement, on peut toujours refuser. Cette fois-là, je m’en souviens parfaitement, il devait être cinq heures et quart, je me suis retrouvé sur la place de la Bourse, en sortant de chez moi.
C’était l’hiver. Il ne faisait pas si froid. Tout à coup, c’est le timbre de sa voix qui m’était revenu. Mon oncle. Il aimait faire des blagues. Au volant de sa Cadillac décapotable blanche, il s’arrêtait devant un homme qui descendait la rue et lui demandait : « Monsieur, pardon, vous connaissez la rue qui tourne ? »,
puis guettant l’air ahuri de l’autre en train de chercher, de se remémorer, d’essayer de trouver, le découvrant, il pouffait puis embrayait. On aurait dit un môme.
Je suis arrivé vers l’île, il commençait à faire nuit. Il y avait de drôles de teintes aux lumières, j’allais traverser le pont.
Sur l’île, le café fait l’angle du quai des Orfèvres. J’y suis entré, il était assis à une table.
Léo, c’est toi ? ai-je dit. Il me souriait. « Mais oui, c’est moi, bien sûr c’est moi, qui veux-tu que ce soit ? Assieds toi…»
Il commença à me parler, en regardant dehors. Il faisait nuit. Il me parlait de sa femme, Danielle.
De ses deux enfants. Il regardait dehors, et c’est alors que tout m’est revenu. C’était en septembre, en soixante dix sept, j’étais à l’armée. On m’apprit l’accident. Tous trois, Danielle, leurs deux enfants étaient morts dans un accident de voiture. Ils revenaient de la mer dans la Jaguar. Moi, j’ai toujours cru qu’il s’agissait d’une Daimler.
Lorsque je l’ai appris, en cette fin d’après midi, je suis allé voir le capitaine de ce camp, ce même camp qui avait vu Desnos partir, à Compiègne. Royalieu. J’y avais été incorporé, comme on dit. En août. Transmetteur. J’apprenais le morse, trois courts, trois longs, trois courts. Le capitaine me dit : « Oh je vois, oui… Bien sûr, vingt quatre heures pour aller voir votre oncle ? Oui, bien sûr, mais réfléchissez… Vous n’aurez plus aucune journée de permission supplémentaire durant les onze mois qui vous restent… Réfléchissez bien, et revenez me voir ». J’étais deuxième pompe. Vingt trois ans, peut-être. Je regardais le camp, la cour de la caserne, les bâtiments alignés. J’ai dit que j’avais réfléchi, oui, n’importe, vingt quatre heures, oui, voilà, vingt quatre heures, oui.
A présent, dans ce café, au coin du fleuve, au loin, la fontaine Saint Michel, les quais, au loin le ciel gris, glacé. Je me suis retourné, pour regarder mon oncle. Il n’y avait personne. Je me suis levé, ai pris mon chemin dans l’autre sens. Puis, au loin, sur le pont au Change, au loin, des lumières brillaient. Paris, en hiver.
piero cohen-hadria
Bravo à vous deux, viens de lire vos textes. Ai adoré.
Un très bel échange, coordination parfaite entre les deux billets.
Merci.
Rédigé par : Xavierfisselier | samedi 05 fév 2011 à 07:48
Connexion rétablie, ai pu lire les deux textes, merci
Rédigé par : lireaujardin | vendredi 04 fév 2011 à 10:27
Souvenir armé. Les "permissions", ils appelaient ça, comme si on était des petits garçons. Je me souviens de l'une d'entre elles, passée à Paris, mais cela deviendrait trop sensible.
Les lieux gardent ces images ou l'inverse : il suffit de les capter, capturer, captiver, tu as su le faire.
Rédigé par : Dominique Hasselmann | vendredi 04 fév 2011 à 09:18
bonjour,
après lecture de ce texte, j'ai voulu voir le vôtre à l'adresse indiquée mais il semblerait que le lien ne fonctionne pas.
Rédigé par : lireaujardin | vendredi 04 fév 2011 à 08:51