suite d'un travail d'écriture au plus près du jardin et du jardinage, jour
après jour, saison après saison
on verra bien jusqu'à
quand, jusqu'à quel âge de jardin
y reviendrai peut-être
dans la terre de l'écriture
mais tenter de
travailler dans le flux de ce qui vient, sans remettre à demain
tu travailles le triangle de terre pointant vers le noisetier et longeant le troène
il a déjà bien dépassé la taille d'une haie
la dite nature poursuit sa pousse inexorablement
jusqu'à tout envahir tout démolir
si la dite culture n'intervient pas
bientôt les fruits du noisetier signeront septembre
tu travailles
un bout de terre qui n'a pas beaucoup vu la bêche
si
l'année dernière
la bêche y a entré son fer
pour que puisse s'y planter
un rosier rugosa à larges pétales rose incarnat
ou grenat
tu nettoies_c'est
à dire tu arraches_il le faut_les dites mauvaises herbes tu tentes l'arrachage
de ces grandes feuilles à hautes tiges qui ressemblent à de la rhubarbe et
fleurissent en grandes ombelles blanches et dont l'odeur ne présente à ton nez
aucun intérêt
elles résistent alors tu coupes tu dois couper
se convaincre de l'intérêt
est-ce le mot juste
en cette circonstance et en ce lieu
d'une destruction
tu
avais planté ce rugosa à côté d'un rosier madame meilland
les plantes quelque fois
presque dire obstination
ou vitalité
ou vivance
"la rose est sans pourquoi"
vivre coûte que coûte
ce
madame meilland_création 1948_t'avait époustouflée, il y a deux ou trois
ans alors que prise
d'une frénésie de renouveau_mot de triste mémoire_peut-être pourrait presque servir à Mauricette Beaussart et à son anthoveaulogie puisqu'on n'y trouve le
mot veau, mais non, il faudrait "renoue veau"_ alors que, prise d'une
frénésie de renouvellement tu avais arraché, pour les supprimer, la dizaine de
rosiers madame meilland qui semblaient souffreteux_ils auraient pu avoir soixante
dix ans
qui les avait plantés au jardin
peut-être un homme de 55 ans
né en 1893
conseillé par son horticulteur
et approuvé par celle qui aimait tant les roses
là dans ce même carré de rosiers entouré de buis
où elles poussaient encore
et
alors que tu les avais déposés dans les sacs de déchets végétaux distribués à
cet effet par la municipalité et que, le lendemain, en ayant oublié un, tu en avais
négligemment lancé la racine sur le triangle de terre en question et l'avait laissée, là, sans aucun soin, tu avais vu fleurir le rosier au printemps suivant et te proposer
encore une fois ses boutons jaune pâle
avec la
serfouette tu travailles le pied du rugosa et celui du madame meilland, tu
bines pour que la terre reçoive plus aisément l'eau_au minimum un arrosoir de
sept litres à chaque pied_eau de pluie recueillie dans les grandes et vieilles
lessiveuses en zinc
vous femmes aux travaux domestiques
en avez-vous fait bouillir dans icelles du linge blanc
y ajoutiez-vous de la cendre comme le raconte colette
étendiez-vous les grands draps de lin sur le pré
pour que le blanc soit ensoleillé de blanc
après
que tu aies arrosé d'eau de pluie, tu épands du fumier de cheval, tu mélanges à
la terre, tu épands les copeaux de cacao et tu arroses encore, cette fois-ci à
la pomme, pour ne pas entraîner les copeaux loin du pied
pour le
reste du triangle, aujourd'hui pas assez de force
et terre trop sèche pour attaquer au fer de bêche
vocabulaire guerrier dans ce jardin si paisible
alors
tu prends les cisailles, tu coupes toutes les herbes devant être coupées_delendae sunt_tu les laisses au sol pour
faire un lit d'épaisseur entre la lumière et la terre et tu complètes avec
l'étendage de cartons d'emballage tu cisèles dans le carton mouillé les places où
s'insèrent les pieds des cistes, les pieds des violettes, les pieds des
cœurs-de-marie, les pieds des coquelourdes_dernier coup d'œil pour soir si pas
d'oubli ... et tu arroses encore puis dernier acte_tout provisoire_tu vas
chercher brouettées de broyat de bois pour en recouvrir l'ensemble du triangle
encore
un moment où combat et beauté se côtoient
où la
vie du jardin cultivé s'arrache à la mort
encore un moment arraché
à la mienne
2010_05_21
je remercie de votre passage au semenoir, jardin chantier #3 / et dire que je n'ai toujours pas lu cette "Mort d'un jardinier" vôtre alors que le titre m'a fait signe depuis déjà longtemps / c'est dit vais me le procurer ainsi que La patience de Mauricette / programme de lectures papier / mh
Rédigé par : maryse hache | vendredi 23 juil 2010 à 13:51
Bonjour, intéressant de trouver une référence à Mauricette Beaussart dans ce chantier (très beau) consacré au jardin, et où l'emploi de la deuxième personne me fait inévitablement penser à mon roman "Mort d'un jardinier"...
Bref, la réunion du jardinier et de Mauricette comme dans ma bibliographie récente.
Bon jardinage.
LS
Rédigé par : Lucien Suel | jeudi 22 juil 2010 à 19:16